Comment réagir face à l’annonce d’E. Macron sur la suppression de la directive européenne sur le devoir de vigilance ?

Le 19 mai dernier, lors du sommet "Choose France", Emmanuel Macron a surpris plus d’un observateur en appelant à la suppression de la directive européenne sur le devoir de vigilance (CS3D). Un texte pourtant emblématique, voté en 2024, qui vise à responsabiliser les grandes entreprises sur les impacts sociaux et environnementaux de leurs chaînes de valeur.
Cette annonce, formulée dans un contexte de séduction des investisseurs étrangers, a provoqué une onde de choc parmi les acteurs de la RSE, les ONG et certaines entreprises engagées.

Mais que faut-il vraiment comprendre derrière cette déclaration ? Quel est son poids juridique réel, et comment doivent réagir les entreprises, notamment celles engagées dans une évaluation EcoVadis ?

Rappel du contexte : une directive très attendue

La directive CS3D (Corporate Sustainability Due Diligence Directive), adoptée par le Parlement européen en juin 2024, impose à toutes les entreprises de plus de 1 000 salariés et réalisant 450 millions d’euros de chiffre d’affaires (ou à certaines filiales européennes d’entreprises étrangères), de :

  • Identifier les risques d’atteintes aux droits humains (travail forcé, travail des enfants, conditions de travail indignes...) et à l’environnement (pollution, déforestation, perte de biodiversité...) dans leur chaîne de valeur mondiale (fournisseurs et sous-traitants) ;

  • Mettre en place des mesures de prévention et de remédiation ;

  • Assurer une gouvernance appropriée, avec un reporting public structuré ;

  • Et, dans certains cas, de répondre juridiquement des dommages causés.

Elle s’inscrit dans la continuité de la loi française de 2017 sur le devoir de vigilance, mais avec une portée plus large, une cohérence européenne et des sanctions renforcées.

Macron peut-il réellement “supprimer” la directive ?

La réponse est claire : non.
Une directive européenne est adoptée par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne. Elle ne peut être abrogée que par une nouvelle procédure législative — une décision collégiale, qui prend des années.
Emmanuel Macron ne peut donc pas, à lui seul, revenir sur cette directive.

Mais il peut, politiquement :

  • Faire pression pour affaiblir sa mise en œuvre ou ralentir sa transposition en droit français ;

  • Exprimer un désaccord stratégique, pour séduire certains milieux économiques ;

  • Nourrir un récit politique, qui met en tension compétitivité et régulation.

En résumé, l’annonce n’a pas de portée juridique immédiate, mais elle envoie un signal politique fort, et peut peser dans les dynamiques de négociation à Bruxelles.

Pourquoi cette déclaration fait autant réagir ?

Plusieurs ONG ont réagi dans les heures qui ont suivi l’annonce :

  • Amnesty International France, Oxfam, Sherpa, Les Amis de la Terre, ou encore Notre Affaire à Tous ont dénoncé une "attaque frontale contre la régulation européenne".

  • Dans une tribune commune, elles rappellent que « sans règles contraignantes, les atteintes aux droits humains et à l’environnement continueront à prospérer dans l’impunité ».

Des entreprises aussi s’en inquiètent. Certaines voix du monde économique se sont étonnées du message envoyé :

  • Pascal Demurger, directeur général de la MAIF, s’est déclaré « stupéfait » sur BFM Business, rappelant que « la directive crée un cadre clair et égalitaire, évitant aux entreprises responsables d’être désavantagées ».

  • Kering, L’Oréal, Danone ou encore Decathlon, membres de l’Initiative Entreprises pour les Droits de l’Homme, avaient activement soutenu l’adoption de la directive.

  • Ces entreprises savent que les chaînes de sous-traitance mondialisées représentent un risque réputationnel majeur, et qu’un cadre contraignant peut être une protection stratégique plutôt qu’une entrave.

Comment réagir quand on est une entreprise engagée ?

Rien n’est annulé, le texte reste en vigueur

  • La France devra, comme les autres États membres, transposer la directive CS3D dans son droit national. Le calendrier pourrait être ajusté, mais l’obligation demeure.

  • L’inaction exposerait la France à des procédures d’infraction devant la Cour de justice de l’UE.

Les clients et investisseurs continueront d’exiger cette transparence

  • Le monde économique n’attend pas toujours la loi pour agir.

  • Les donneurs d’ordre — en particulier ceux du CAC 40 ou du secteur public — intègrent déjà des critères de diligence raisonnable dans leurs appels d’offres ou politiques achats.

  • Les labels comme B Corp, ISO 20400, ou EcoVadis ne se contentent pas de conformité : ils évaluent la robustesse réelle des pratiques.

  • Les entreprises qui structurent ces éléments ne le font pas "juste pour la loi", mais pour :

    • Protéger leur réputation,

    • Sécuriser leurs relations commerciales,

    • Et répondre aux attentes des clients et investisseurs responsables.

EcoVadis intègre déjà les exigences de la directive

Voici ce que valorise EcoVadis sur le thème « Achats responsables » et qui recoupe les attentes de la CS3D :

  • Une cartographie des risques fournisseurs (sociaux, environnementaux, éthiques),

  • L’intégration de clauses RSE dans les contrats,

  • La vérification des fournisseurs via questionnaires, audits ou labels tiers,

  • La formation des acheteurs à l’identification des risques,

  • Et l’existence d’une procédure de gestion des alertes et des non-conformités.

Conclusion : garder le cap et transformer l’incertitude en avantage stratégique

L’annonce d’Emmanuel Macron ne doit pas être lue comme une permission implicite de lever le pied.
C’est, au contraire, l’occasion de se positionner comme entreprise responsable dans un monde instable, et de faire de la transparence une source de confiance, pas de contraintes.

Mon conseil aux entreprises : poursuivez vos démarches d’évaluation, structurez vos politiques achats responsables, formez vos équipes, et utilisez des outils comme EcoVadis pour ancrer vos engagements dans du concret.

Ceux qui avanceront malgré les signaux politiques contradictoires seront ceux qui inspireront la confiance demain.

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